Il faut sauver l’énergie nucléaire – Camille Ramecourt (French/English)
Quelle idée de rejoindre un mouvement écologique en écrivant pour le nucléaire !
Rassurez-vous. D’abord, je suis bien saine d’esprit, et je ne serai pas longue. Ensuite, le nucléaire n’ayant pas très bonne presse par chez nous, je ne vous demanderai pas non plus d’être convaincu, mais juste de lire. Ecouter une opinion divergente est toujours bénéfique, et s’accorder sur ce point nous permettra de nous entendre, au moins le temps de ces quelques mots.
Je ne suis pas experte du nucléaire, ni même des sciences. J’ai même plutôt tout fait pour m’en éloigner. Alors pourquoi vouloir écrire sur un sujet populairement antipathique, dans un domaine qui m’angoisse me direz-vous. Et bien, parce qu’il y a urgence.
Non pas que je sois la première néophyte à le dire, mais nous savons que l’apprentissage est fait de répétition. Ainsi le nucléaire, non seulement mérite sa chance, mais a déjà fait ses preuves.
Son CV est à la connaissance de tous : avoir la même empreinte carbone -très basse- que son collègue éolien tout en fournissant une électricité à des millions de foyers français deux fois moins chère que celui-ci. Garantir l’indépendance énergétique nationale ainsi qu’un emploi à quelques 140 000 personnes minimum rien qu’en France. (Vous remarquerez ici que j’utilise le chiffre de 2011 de Cécile Duflot et non celui de PWC (410 000) ni du PDG d’ERDF (1 million).)
Alors, pourquoi n’aime-t-on pas le nucléaire ?
Le premier « contre » auquel on pense, c’est la bombe atomique. En tout cas c’est ce à quoi je pensais quand j’entendais « nucléaire ». C’est évidemment un biais de pensée, qui ne dissocie pas immédiatement le nucléaire militaire et le nucléaire civil. La bonne limite du sujet est de mise : le nucléaire civil est fondé sur et pour la seule idée de fournir de l’électricité à tous. Je vous fais confiance pour trouver le fondement du nucléaire militaire.
Cette première association d’idée effacée, il reste des charges contre la Défense : d’abord les risques des centrales, et ensuite le problème de stockage des déchets radioactifs que nous traiterons dans un second temps en parlant d’innovation.
Nous démarrerons ainsi avec les deux accidents de centrales les plus importants : Tchernobyl et Fukushima.
Ces deux accidents sont représentatifs non pas du danger du nucléaire en soi, mais de failles humaines dans la conception ou la gestion des installations.
Tchernobyl a eu lieu dans l’URSS des années 80. L’absence de prudence nucléaire provoqua l’explosion du réacteur, 62 victimes , et de nombreux dégâts indirects.
À la suite du séisme d’exception de Tōhoku, Fukushima Daiichi a vu l’explosion de plusieurs bâtiments réacteurs. Bien qu’un accident nucléaire ait eu lieu, il n’est à l’origine d’aucun décès direct. Le bilan humain de 20 000 morts et disparus, souvent imputé à la centrale, relève en fait des effets psychologiques et sociétaux du déplacement des populations et surtout du tsunami.
Tchernobyl et Fukushima présentent tous les deux des facteurs humains à l’origine de la catastrophe.
En effet, Valeri Legassov, homme clé du nucléaire soviétique, de l’élaboration des centrales à la gestion de Tchernobyl, explique les manquements cruciaux qu’a subi le processus. Entre pressions financières, hypothèse de qualification parfaite des collaborateurs, Plan régissant le calendrier, absence de travaux préventifs et surtout, absence totale de prise en considération des risques de construction et d’urgence, la catastrophe de Tchernobyl constitue le paroxysme d’un modèle de développement du nucléaire défaillant.
-Je suis obligée de passer les détails, mais le testament de Valeri Legassov « Il était de mon devoir de parler » est édifiant et tout à fait accessible, par et pour tous.
Un quart de siècle après, Fukushima nous fait remarquer deux choses. D’une part que la majorité du bilan humain est imputable au séisme, au tsunami, et au déplacement des populations. D’autre part, que les dommages liés à la centrale ne relèvent plus de sa conception, mais de la gestion de crise a posteriori de l’accident. En effet, le problème du site de Fukushima Daiichi tenait à l’imprévision du méga-séisme par les spécialistes ainsi qu’au manque de sang-froid et d’organisation entre le fabriquant, l’agence japonaise de sûreté nucléaire et le gouvernement local.
Et ce déplacement de la cause réelle de la catastrophe de la conception des réacteurs à la gestion de crise reflète l’évolution de la situation du nucléaire civil, depuis les premières centrales des années 1950.
Je m’explique.
Vous êtes peut-être surpris -ou non- qu’en voulant défendre le nucléaire civil, je commence par en exposer les dégâts.
Pourtant, commencer par Tchernobyl souligne que l’on a conscience des risques, ce qui est indispensable pour les contrer. Ni le concepteur, ni les équipes de Tchernobyl n’avaient de conscience des précautions particulièrement impératives au nucléaire. Les déclarations glaçantes de Legassov sur le comportement des agents des centrales et leur qualification en témoignent. Ce qui a été tiré de Tchernobyl c’est la conscience des risques du nucléaire.
Cette conscience du risque a eu un impact mondial, et un impact tel qu’il a fallu attendre 25 ans et une catastrophe naturelle imprévisible pour qu’un accident nucléaire du même rang ait lieu.
Et pourtant, Fukushima Daiichi illustre l’avancée considérable permise grâce à la prise de conscience du secteur nucléaire.
Parce qu’elle est l’exception.
Trois autres centrales étaient présentes sur la même côte exposée au séisme que Fukushima Daiichi. Aucune n’a eu la même gestion.
L’influence de l’opérateur est d’autant plus flagrante quand on se penche sur les deux centrales n’étant pas gérées par TEPCO[1]. Les centrales plus anciennes (Tōkai) et plus proches de l’épicentre du séisme (Onagawa) ont résisté au tremblement de terre, et se sont éteintes automatiquement. La centrale d’Onagawa, n’ayant reporté qu’une anomalie, a même offert un refuge aux familles dont le foyer avait été détruit par le tsunami !
Ainsi le nucléaire civil est conscient de lui. Il n’a de cesse d’être de plus en plus sûr. Actuellement à sa génération III+ de réacteurs, la plupart est pourvue de dispositifs de sûreté passifs, ne nécessitant aucune intervention humaine en cas d’urgence. Leur généralisation est prévue pour la prochaine génération, notamment dans les SMR (Small Modular Reactors) dont certains sont déjà opérationnels. Leur majorité sera d’autant plus sécurisée et sécurisable, car ils pourront être enterrés ou submergés.
Ainsi, la dernière et principale source, sinon exclusive, de dégâts dans les accidents nucléaires, l’imprédictibilité humaine, n’a déjà plus sa place dans nos futures centrales.
Par ailleurs, s’il aurait été intolérable de ne pas reconnaitre les manquements humains à l’origine des accidents nucléaires, il en serait de même de ne pas reconnaitre les conséquences du rejet absolu du nucléaire civil.
Refuser les œillères est crucial, car si le désir de sortie du nucléaire part souvent d’une bonne intention, c’est un cheval de Troie. En effet, sous prétexte de choisir une énergie plus propre, nous avons des voisins européens qui jugent plus pressant de sortir du nucléaire que du charbon. Pareillement sur le sol français, on cède aux fermetures symboliques, assurant à la population que le réseau restera aussi efficace, alors qu’à chaque fois que Paris éternue, on déclare une journée noire sur les lignes électriques. Et ce depuis Fessenheim.
Fessenheim est une fusillée pour l’exemple, dont la condamnation fut prononcée contre l’avis positif de l’ASN[2], et surtout parce que c’était le plus vieux réacteur de France. Il ne faut pas se leurrer, les défaillances légères du système relevées chaque année avaient drastiquement chutées grâce aux travaux préventifs d’EDF. Mais quelle victoire d’avoir la peau de la plus vieille centrale de France !
Cependant, n’est-ce pas une victoire d’ego ?
La majorité de l’énergie mondiale est issue du charbon. Mais toute ? Non, un petit pays gaulois résiste encore à la tentation de satisfaire les lobbys et politiques en fermant du nucléaire pour maintenir -ou rouvrir- du charbon… Enfin jusque Fessenheim.
Fessenheim, qui ne pouvait pas attendre d’être sacrifiée alors qu’elle était plus fiable que jamais grâce au professionnalisme de l’exploitant. Fessenheim qui ne pouvait attendre d’être sacrifiée pour maintenir le fonctionnement de la centrale à charbon de Cordemais.
La secrétaire d’Etat à la transition écologique le souligne elle-même : une centrale à charbon représente les émissions de CO2 de 1 million de voitures -non électrique- par an.
Mais l’urgence, c’était Fessenheim.
Être farouchement pour ou contre le nucléaire est forcément mauvais. Une absence d’esprit critique contre ses idées n’est jamais louable.
Les consciences évoluent et une véritable connaissance du nucléaire civil et de ses facultés est rare, comme en témoigne Zion Lights. L’ancienne porte-parole d’Extinction Rebellion regrettant le « déni nucléaire » de son ancien mouvement.
-Une nouvelle fois, point de détails, mais ses interviews sont également accessibles et son point de vue éclairant.
Evidemment chaque énergie présente ses risques et ses limites, et les ignorer serait terrible et nuirait à l’innovation.
Cependant, à vouloir aller trop vite, on se retrouve face à des contradictions hypocrites comme celle de Fessenheim. Les idées et la théorie sont louables, mais divergent souvent du but une fois appliquées.
La meilleure solution réside dans la mixité des sources d’énergies. Unies dans la diversité et satisfaisant à la fois environnement et sécurité. Arrêter le charbon semble évident dans un premier temps. Mais il s’agit de répondre aux besoins en énergie croissants par un mode énergétique conscient et tourné vers le futur.
Vouloir passer au 100% renouvelable dans les 5 ou 10 prochaines années est insensé. On voit que l’Allemagne, à l’instant où elle dépasse les 40% d’énergies renouvelables, inaugure en 2020 une centrale à charbon flambant neuve[3].
Nicolas Hulot s’est rendu compte de ces contradictions, qui voulant la peau du nucléaire lui privilégiaient le charbon au nom de l’écologie. Il a agi avec sens quand il a préféré revoir à la baisse son objectif de diminution du nucléaire dans l’énergie française, plutôt que de maintenir en activité des centrales à charbon et ouvrir de nouvelles usines à gaz qui auraient été nécessaires pour pallier les manques créés.
L’avenir de l’Europe ne se conjuguera ni éternellement, ni exclusivement au nucléaire. Mais avec raison, cette grammaire sera nécessaire. Pour une avancée pérenne dans l’écologie, le nucléaire est vital au sol européen, afin d’éviter les cahots d’une route inconnue que l’on voudrait emprunter trop vite.
Les énergies renouvelables sont encore un domaine débutant, et le manque de connaissance encore prégnant nous limite et nous fait en avoir un usage inefficient. Les questions de fabrication, de recyclage des éoliennes et des panneaux solaires, les difficultés de stockage des énergies nouvelles et leur intermittence sont autant de limites qui ne permettent pas, pour l’instant, le passage au 100% renouvelable, souhaitable à terme.
D’autant plus que les choix européens jouent contre l’Europe, privilégiant la quantité des panneaux solaires, plutôt que la construction européenne, qui est pourtant le ciment du continent. Faire passer la part des modules photovoltaïques produits en Europe de 30% en 2007 à 3% en 2017 sur le marché mondial en ayant autorisé le dumping chinois, ce n’est plus une contradiction, mais c’est un meurtre.
Toutefois, les avancées considérables amorcées par l’Europe en la matière sont du meilleur augure, et un mix énergétique raisonné entre nucléaire et énergies renouvelables est la meilleure solution pour la transition. La part des énergies renouvelables augmentant au rythme des innovations, remplaçant progressivement la part de la fission nucléaire. La progressivité étant la clé pour ne pas se retrouver avec un nouveau désastre environnemental sur les bras.
Cette solution étant possible d’une part, grâce aux milles précautions qui sont la ligne de conduite du nucléaire actuel, et d’autre part grâce à l’innovation.
Nous avons déjà parlé de la conscience exacerbée qu’a le nucléaire de ses risque (qui avait notamment permis de largement restreindre la liste des incidents de services à Fessenheim grâce à la prévenance des travaux et des contrôles).
Le nucléaire a aussi son innovation. La quatrième génération de réacteurs est à portée de main, un premier projet de démonstrateur industriel étant déjà en cours [4]. Les réacteurs à neutrons rapides (RNR) seront d’abord plus efficaces : avec la même quantité d’uranium initiale sera produite 100 fois plus d’électricité que dans les réacteurs actuels. De plus, les RNR ont été pensés pour améliorer la gestion des déchets. Leur capacité à brûler une part conséquente des éléments radioactifs issus de la combustion induit deux choses. La réduction des déchets (multi-recyclage) et de leur radiotoxicité de l’ordre de plusieurs centaines de milliers d’années (transmutation).
Parallèlement à la GEN IV, la recherche nucléaire se concentre aussi sur la fusion. Et celle-ci est plus proche encore qu’à portée de main, plusieurs réacteurs à fusion étant déjà en état de marche à travers le monde.
La fusion nucléaire permet d’abord de produire 10 fois plus d’énergie que le phénomène actuel de fission. D’autre part, reproduisant la réaction qui alimente le Soleil et les étoiles, elle est une source presque inépuisable d’énergie. Et enfin, et surtout : la fusion ne produit pas de déchet nucléaire !
Ainsi, nous pouvons avancer avec la plus grande sérénité vers les énergies renouvelables, d’abord supportées par un mix énergétique éliminant le charbon, le gaz, et ce sans avoir recours aux ressources d’autres pays, moins respectueux de l’environnement que l’est l’Europe.
Nous ne sommes qu’au début du chemin des énergies renouvelables, et à vouloir aller trop vite en privilégiant les symboles plutôt qu’une vision globale, nous trouverons d’autant plus de contradictions et hypocrisies conduisant à une empreinte carbone bien pire.
L’entente européenne s’est fondée sur l’industrie, et sur l’industrie européenne. Sur le partage et sur le désir de progrès. Le nucléaire actuel n’est pas une fin pour la problématique énergétique européenne, mais le moyen pour parvenir à l’énergie la plus propre possible. Pour atteindre ce but, il est nécessaire d’accepter de voir la situation dans son ensemble, et de pencher du côté de la raison, plutôt que de celui de l’émotion. Agir par émotion nous conduirait d’abord à une décrédibilisation sur la scène mondiale, ne sachant pas accepter les conséquences réelles de nos désirs théoriques, et à une inefficience et énergétique, et environnementale.
De la raison, pour une énergie nucléaire qui soutient les énergies renouvelables, contre toute alternative charbon ou pétrole. Et aussi et surtout des projets européens, car c’est à cette échelle que les avancées dans le domaine auront un réel impact. Développer un esprit énergétique européen est crucial, mais tout le monde doit accepter de réfléchir ensemble, et sur le long terme.
Camille Ramecourt
Etudiante en finance à Paris Dauphine, Camille est convaincue que ce canal est essentiel pour conduire des réformes globales des modes de production et de consommation de la société. Attirée depuis longtemps par la Russie et sa culture, elle a souhaité s’impliquer dès maintenant dans le renouveau de la pensée environnementale en rejoignant le dialogue franco-russe.
[1] Tokyo Electric Power Company gérait les deux sites de Fukushima Daiini et Daichi, le second n’ayant reporté qu’un incident de niveau 3 sur l’échelle INES à la suite du séisme.
[2] Autorité de sureté nucléaire française
[3] Datteln 4
[4] ASTRID
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